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Rongé par le remords

iStockphoto LP
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Vouloir racheter son ancienne maison, cela s’est sûrement déjà vu. La racheter parce qu’elle nous manque trop, ou peut-être par obligation financière ou autre raison. Il y a certainement au Québec un professionnel du courtage immobilier qui a été témoin d’un tel scénario.

Je me souviens d’un conte arabe où le personnage principal, Ahmed, veut récupérer sa maison. Si ma mémoire est fidèle, tous les jours il entre dans son ancienne maison pour y planter un clou, sous le nez du nouveau propriétaire. Ce dernier finit par perdre patience et il redonne la maison à Ahmed.

Je ne me rappelle pas si Ahmed avait en vue un gain financier rapide ou si, vaincu par la nostalgie, il était en proie au remords.

L’écrivain italien Luigi Pirandello a pondu une histoire complètement folle à ce sujet, bien qu’il s’agisse d’un terrain et d’un acte de vengeance. S’était-il inspiré d’un fait divers? Peut-être. L’histoire se passe en Sicile.

Un paysan possède un terrain rocheux au sommet d’une colline qui surplombe une belle campagne en vallons avec, au loin, la mer. Un jour, un homme se présente et lui offre de lui acheter une partie de la colline. Étonné, le paysan accepte et vend le terrain pour une bouchée de pain.

Un an plus tard, deux splendides villas surgissent sur la colline : terrasse de marbre, véranda, jardin fleuri.  Jaco est en furie! Il a le sentiment de s’être fait rouler. Sur un coup de tête, il décide de cultiver sa propre partie de la colline. Mais c’est de la roche! Rien ou presque ne pousse. On se moque de lui dans la région.

Pour se venger, à proximité des deux villas, le paysan attache un chien qu’il nourrit à peine. Chaque nuit le chien hurle de faim. Tellement que les locataires des deux villas ne peuvent pas fermer l’oeil. Les plaintes pleuvent sur le propriétaire qui envoie une pétition à la mairie. En vain.

Et le chien de hurler nuit après nuit.

Deux tirs éclatent dans la nuit en direction du chien. Ils proviennent de l’une des deux villas. Fusil à l’épaule, le paysan se plante devant les deux villas et exige de savoir qui avait osé faire feu sur son chien. Toutes les fenêtres restent fermées.

Et le chien de hurler nuit après nuit.

Une guerre éclate dans les deux villas. Les locataires sont à bout de nerf. La moitié d’entre eux exige la mort du chien pour pouvoir enfin dormir, l’autre réplique que le chien n’a pas à payer de sa vie pour la conduite misérable de son maître.

Et le chien de hurler nuit après nuit.

Un jour, voyant le paysan quitter son terrain à la fin de sa journée de travail, une mère accepte que sa fille aille porter de la nourriture au pauvre chien. Fou de joie, le chien saute sur la bouffe. Et la nuit suivante, pas d’aboiement ni de hurlement. Les locataires des deux villas ont enfin pu dormir.

Le lendemain matin, le paysan ne s’étant toujours pas pointé, la fillette retourne donner à manger au chien, qui semble dormir profondément. Elle s’approche et, au détour d’un rocher, le paysan, affolé,  abat la pauvre fillette d’un coup de fusil. Quant au chien, un locataire lui avait lancé une boulette empoisonnée pendant la nuit.  D’où son sommeil de plomb.

Vous aimez les courtes histoires? Luigi Pirandello, prix Nobel de la littérature,  en a écrit près de 500.  Vous serez servi.

Référence : Pirandello, Nouvelles complètes, Éditions Quarto Gallimard, 2000, 2236 pages.

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