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Vos meubles tremblent-ils de peur?

iStockphoto LP
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Je vous ai parlé d’Anabel la semaine dernière, celle qui se passionne pour la décoration. Elle m’a dit un beau matin: «Si j’avais beaucoup d’argent, je changerais la décoration de ma maison à chaque année.»

Étrange qu’elle me dise ça début mars. Pure coïncidence? Souvent l’envie brusque des gens de tout jeter à terre s’exprime à la fin de l’hiver. Surtout celui que l’on connaît actuellement!

L’été, on y pense moins. Il y a les sorties en famille, les festivals, les pique-niques, les randonnées en vélo et tout le tralala. Il y a de la vie, du mouvement, de la nouveauté. On voit moins les meubles.

L’hiver on chausse nos pantoufles et on s’emmitoufle. Et qu’est-ce qu’on a dans la face de décembre à mars? Les meubles. «Chérie, l’ameublement dans le salon, pu capab! Pourquoi n’irait-on pas faire le tour des magasins de meuble? Tannée de regarder les séries télévisées, les films, le bavardage sur Facebook. Tannée de tout!»

Le lendemain de la déclaration d’Anabel sur son besoin de redécorer, j’ai feuilleté le bouquin Pirandello, nouvelles complètes publié chez Quarto Gallimard et je suis tombé sur un passage savoureux traitant de l’impact d’un meuble neuf dans une pièce:

«Les meubles aussi, spécialement les vieux, ont une âme qui leur vient des souvenirs de la maison où ils ont séjourné si longtemps. Il suffit pour s’en apercevoir qu’un meuble neuf soit introduit au milieu d’eux.

«Un meuble neuf est encore sans âme mais non privé de l’anxieux désir d’en acquérir bientôt une par le simple fait d’avoir été choisi et acheté.

«Eh bien regardez-moi comment aussitôt les vieux meubles le regardent de travers. Ils le considèrent en intrus prétentieux qui ne sait encore rien et ne peut rien dire, et Dieu sait, en attendant, quelles illusions il se fait. De leur côté, les vieux meubles ne s’en font plus aucune et c’est pourquoi ils sont si tristes: ils n’ignorent pas qu’avec le temps les souvenirs commencent à s’évanouir et qu’avec eux leur âme aussi ira en s’affaiblissant: c’est pour cela qu’ils restent là, décolorés quant aux tissus, noircis quant au bois, sans plus souffler mot, eux non plus.

«Si par malheur un souvenir persiste et qu’il n’est pas agréable, ils courent le risque d’être jetés dehors.

«Ce vieux fauteuil par exemple éprouve un véritable tourment à voir la poussière que les vrillettes accumulent en tant de petits tas sur le dessus de la table basse devant lui et à laquelle il est si attaché. II se sait trop lourd, il connaît la faiblesse de ses deux courbes guibolles, surtout les deux de derrière: il a peur d’être saisi  -on ne sait jamais-  par le dossier et traîné ailleurs. Avec cette petite table devant lui, il se sent plus en sûreté, à l’abri et il ne voudrait pas que les vrillettes, en réduisant celle-ci à un si piètre état avec tous ces drôles de tas de poussières, finissent par la faire prendre et monter au grenier. »

Après la lecture, j’ai eu une pensée pour ceux et celles qui, contrairement à Anabel, refusent de se départir de leurs premiers meubles sous prétexte qu’ils ont une âme.

J’ai déjà cité Pirandello dans l’histoire du pauvre paysan qui s’est fait rouler dans la vente de son terrain en Sicile. La vengeance du chien, dans le billet Rongé par le remords, c’est lui.

Si les histoires de meubles vous intéressent, tâtez un peu de psychologie dans l’histoire du type qui se barricade derrière ses meubles publiée dans un précédent billet.

Référence: La nouvelle La maison de l’agonie de Luigi Pirandello tirée du volume Pirandello nouvelles complètes, Quarto Gallimard, 2236 pages

Photo : iStockphoto LP