Retour à Sarajevo, ville de Bosnie assiégée durant la guerre 1992-1995 dans l’ex-Yougoslavie.
Canons et mortiers arrosent la ville d’obus pendant que les tireurs d’élite, cachés dans les collines, prennent adultes et enfants pour cibles. Un enfer qui a duré presque cinq ans.
Mevlida Karadza se bat pour sortir de la ville. Sa fille et ses deux petites-filles ont fui à temps. Mevlida est prise au piège. Son gendre Milan aussi. Ses amis aussi.
Elle n’a qu’une seule idée en tête: revoir sa fille et ses deux petites-filles.
Un jour, elle se prépare à bouffer au pied de l’immeuble qu’elle habite. Mevlida raconte:
«Les obus se sont alors mis à pleuvoir, et tout le monde s’est réfugié dans les immeubles… Rajka la mère de Milan avait mis la table, et nous nous sommes empressés de manger. Dans l’appartement d’à côté, nous n’entendions que Damir. Nous avions pris l’habitude, au plus fort des bombardements, de nous mettre à l’abri dans le couloir commun car nous nous y sentions en sécurité. J’avais sorti deux tabourets, mais je suis retournée prendre le petit sac contenant mon strict nécessaire. Deux obus ont alors explosé, sans doute assez près. On m’avait expliqué qu’un même endroit est généralement pris pour cible trois fois. C’est avec cette idée-là en tête que je suis rentrée dans l’appartement. Le mur s’est jeté sur moi. Mes souvenirs s’arrêtent là… Ensuite seulement j’apprendrai que j’ai été touchée à la jambe gauche, qu’un obus a frappé le balcon et le mur extérieur de mon bureau. Contre ce mur, il y avait une bibliothèque, deux à trois épaisseurs de livres, et cela aura –légèrement du moins- atténué la violence de l’explosion. Vu la multitude d’éclats projetés en tous sens dans une pièce totalement dévastée, qu’un seul m’ait touché relève du miracle.»
Mevlida reviendra à son appartement après un long séjour à l’hôpital. Elle raconte son retour:«Je n’ai pas reconnu mon appartement, ou plutôt ce qu’il en reste. Il manque une partie du balcon, le mur extérieur a totalement disparu. Avec l’aide des voisins, Milan a pu boucher le trou avec une plaque. La porte et la fenêtre de ce qui était ma chambre ont été soufflées. On les a aveuglées avec de grandes feuilles de plastique et des couvertures. Plutôt que du parquet, on voit le béton criblé de trous. La chambre de Sanja et de Milan est un vrai débarras. Dans la cuisine-salle à manger, il y a le poêle. Tout est sens dessus dessous, on ne reconnaît plus rien. »
Un jour, Mevlida apprend qu’elle va pouvoir quitter Sarajevo. Elle revient chez elle faire ses bagages rapidement.
«Je sors de chez moi, et à serrer Fadila dans mes bras, j’éclate en sanglots, écrit-elle, je viens de réaliser que j’ai fermé pour la dernière fois la porte de mon appartement. Bien qu’à moitié détruit, il m’est cher, c’est ma seule demeure. De sombres pressentiments me glacent le cœur : désormais je suis une sans-logis, une réfugiée.»
Ces passages du récit de Mevlida montrent combien on reste attaché à son logement malgré les circonstances tragiques. Mevlida a failli y mourir, mais elle pleure le moment du départ venu.
Le récit de Mevlida est captivant jusqu’à la fin. C’est la bataille d’une femme qui veut retrouver coûte que coûte sa fille et ses deux petites-filles. Son acharnement est admirable.
Référence:
Survivre à Sarajevo, Mevlida Karadza, éditions Labor, 1995
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