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Dehors la visite!

Étudiant, j’ai habité un petit appartement dans le comble d’une maison, rue Lincoln à Sherbrooke. Un réduit ou presque. Une pièce seulement. Et la salle de bain était trop petite pour deux personnes. Mais, les jours de beau temps, la lumière inondait l’appartement.

Petits appartements entourant l'Église du Val de Grâce (Wikipedia CCAS (Pline)

Plus tard, en couple cette fois, j’ai loué un deux et demi, toujours à Sherbrooke. C’était ce qu’on appelle un «demi sous-sol». Chacune des deux pièces possédait une fenêtre qui donnait sur un grand parc vert. Des enfants jouaient dans ce parc tous les jours. Nous n’avions pas l’impression de vivre dans un deux et demi, mais bien dans un trois et demi, la troisième pièce étant le parc. Inutile de vous préciser les dimensions de cette troisième pièce; elle était immense.

Je n’ai que des beaux souvenirs de ces deux appartements minuscules, même si j’avais été obligé de m’y soumettre. La première fois, c’était faute d’argent vu ma condition d’étudiant, la deuxième par besoin de solitude en vue de l’écriture d’un roman.

Remarquez les deux raisons de choisir un petit logement: la pauvreté ou le besoin de solitude. Existe-t-il une troisième raison? Apparemment que oui.

Hippolito Etchebéhère et sa compagne Mika Feldman sont deux jeunes révolutionnaires de l’Argentine. Le couple vit à Paris dans les années 30. Hippo est atteint de tuberculose.

Le couple reçoit régulièrement des amis révolutionnaires dans leur appartement parisien. Ces amis partagent un défaut: ils fument tous ou presque. Un jour qu’elle revenait chez elle, Mika laisse éclater sa colère en voyant le mur de fumée. Dangereux, très dangereux pour la santé fragile de son Hippo.

Elle ouvre toutes les fenêtres de l’appartement pour évacuer la fumée et ordonne aux amis révolutionnaires de s’abstenir de fumer dorénavant lorsqu’ils seront en visite.

Peu de temps après, Hippo file mal. Il se retrouve chez le médecin. Le diagnostic est alarmant : une tâche se développe sur l’un de ses poumons. La tuberculose progresse. Hippo se retrouve dans un sanatorium. Des mois durant.

Pendant ce temps, seule à Paris, Mika se démène pour gagner de l’argent. Vu le budget serré, elle décide d’emménager dans un logement plus petit. Mais les finances précaires ne sont pas la seule raison. Mika veut que Hippo guérisse une fois pour toutes. Elle se dit qu’un logement minuscule, immensément minuscule, aura l’avantage d’éloigner amis et visiteurs, du moins un certain temps.

Parce que le logement ne pourra contenir que deux personnes à la fois, elle et Hippo.

Elle jette son dévolu sur un réduit qu’elle appelle «la roulotte». Il est situé dans une mansarde, rue Gay-Lussac. Une chambre, une cuisine, c’est tout. C’est tellement petit que des étagères et des planches servent de table et de bureau.
Par contre, un puits de lumière permet au couple d’admirer le ciel de Paris. Et pour agrandir davantage l’espace, Mika pose des affiches de plages et de montagnes, gracieusetés d’une agence de voyage.

C’est petit, très  petit.

N’empêche que Mika conservera d’excellents souvenir de ce qu’elle appelait la roulotte, ce petit nid sous les toits de Paris d’où le couple écoutait les cloches de Val-de-Grâce (photo ci-contre) sonner et les chats s’aimer sur le toit. Tout en admirant le ciel à travers le puits de lumière.

Pendant ce temps, visiteurs et amis ont été gardés à distance. Fini la fumée dans les poumons de Hippo. En passant, nous vous recommandons la lecture du roman. L’histoire de ce couple est passionnante.

Référence: La capitana, Elsa Osorio, éditions Métailié, 2012, Paris, 333 pages

Photo : Pline, Wikipedia Creative Commons Attribution Share