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Au diable les propriétaires!

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(Note de Casarazzi: il faut lire les deux billets précédents portant le titre: La pire crise de logement de l’histoire?)

La solution, direz-vous, était de passer des lois pour donner une chance aux locataires de vivre dans des logements convenables. Mieux: de devenir propriétaire grâce à du crédit bancaire et à un taux d’intérêt décent.

Friedrich Engels s’y opposait. Permettre au locataire de devenir propriétaire? Pas question! C’était un recul dans l’histoire, soutenait-il. Posséder sa propre maison appartient au passé. Il faut regarder vers l’avenir. 

«Ce qui est réactionnaire, écrivait-il, c’est de pouvoir rétablir pour les ouvriers la possession individuelle de leur maison -une question que l’histoire a depuis longtemps liquidée.  C’est de ne pouvoir imaginer la libération des travailleurs autrement qu’en ne faisant que chacun d’eux à nouveau le propriétaire de sa maison.»

Qui est Engels? Journaliste, il est le coauteur du Manifeste du parti communiste, l’autre étant Karl Marx. Avant de ruer dans les brancards, il faut se placer dans le contexte de l’époque.

Dans l’esprit d’Engels, l’ouvrier qui achetait sa première maison tombait une fois pour toutes entres les griffes des premiers capitalistes qui, rappelons-le, se montraient plutôt sauvages. Une fois propriétaire, l’ouvrier risquait de devenir une marionnette aux mains des capitalistes.

Trois peurs poussaient Engels à rejeter la solution de la propriété individuelle: le souvenir des paysans du Moyen Age, les cottages en Angleterre et le manque de scrupule des capitalistes de l’époque.

Engels admettait que le paysan du Moyen Age possédait sa résidence, son jardin et son bout de champ. Sous cet angle, il était mieux que les premiers ouvriers de l’histoire. Par contre, il vivait en esclavage. Il était à la merci de son seigneur et du propriétaire de la terre. En devenant propriétaire d’une maison, l’ouvrier risquait de devenir aussi docile que le paysan.

En Angleterre, surtout à la campagne, les patrons construisaient des cottages avec jardinets pour offrir à leurs ouvriers un logement décent. Et, bien sûr, augmenter leur productivité au travail pour faire plus de profit. Sauf que, comme le paysan, l’ouvrier était à la merci du patron. Exemple: des patrons chassaient des ouvriers de leurs maisons s’ils planifiaient une grève.

Quant à la troisième peur, le manque de confiance face aux capitalistes de l’époque, il faut lire les deux billets précédents pour en saisir toute la portée.

Engels ajoute: «Pour se loger, les travailleurs doivent se charger de lourdes charges hypothécaires et ils sont plus que jamais les esclaves de leurs patrons; ils sont liés à leurs maisons, ils ne peuvent en partir et sont contraints d’accepter toute les conditions de travail qui leurs sont proposées.»

Engels se montre encore plus cinglant en évoquant la France et la Rhénanie où les petits paysans voient leurs maisons grevées d’hypothèques. Ils se croient indépendants mais c’est faux. C’est l’usurier (prêteur hypothécaire), l’avocat et le huissier qui prennent les décisions.

Bien sûr, Engels prêche pour sa paroisse. Pour régler l’énorme crise de logement de l’époque, il n’existait qu’un seul moyen à ses yeux: l’abolition de la propriété individuelle et la création collective, soit le communisme.

Il écrivait: «La révolution va exproprier les propriétaires actuels d’immeubles par des travailleurs sans abris ou entassés dans des logements.» Ou encore: «Procurez-leur (les ouvriers locataires NDLR) des maisons qui leur appartiennent, enchainez-les à nouveau à la glèbe, et vous briserez leur force de résistance à l’abaissement des salaires par les fabricants.»

L’histoire en a décidé autrement. L’être humain a opté pour la propriété individuelle et le capitalisme s’est humanisé.

Et le rêve de posséder sa propre maison est plus vivant que jamais.

Référence
La question du logement, Friedrich Engels, Osez la république sociale,  France, 2012, 95 pages

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