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Un festin spectaculaire (suite)!

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«Nous feignions la surdité, comme les bonnes manières l’exigeaient; enfin nous l’entendions, et nous nous regardions l’un l’autre avec surprise, chacun poussant son voisin à s’avancer le premier; jusqu’à ce que Nassir se lève timidement et nous nous avancions tous derrière lui pour nous laisser tomber sur un genou autour du plateau, nous coinçant et nous pelotonnant jusqu’à ce que les vingt-deux personnes pour qui il n’y avait qu’à peine de place fussent groupées autour de la nourriture. Nous remontions nos manches droites jusqu’au coude et, prenant l’exemple de Nassir, en chuchotant « Au nom de Dieu le miséricordieux, le bien-aimant » nous plongions la main ensemble […]

«Nous pétrissions entre les doigts (sans souiller la paume) des boulettes bien tournées de riz de graisse, de foie et de viande, liées par une douce pression, et les projetions, grâce au levier du pouce, de l’index recourbé  jusqu’à la bouche. Avec le bon tour de main et la bonne construction, le petit bloc tenait bien et se détachait proprement; mais quand du beurre en excédent et des fragments divers s’accrochaient aux doigts, en refroidissant,  il fallait soigneusement lécher ceux-ci pour que la prochaine tentative glisse plus facilement.

«Comme la pile de viande diminuait (personne ne se souciait réellement du riz, le luxe était la viande), un des chefs Howeitat qui mangeait avec nous sortit sa dague……et découpa en zigzag sur les os les plus gros de longs losanges de viande qu’on arrachait facilement avec les doigts, car la viande était par nécessité bouillie jusqu’à être plus tendre, puisque tout devait être manié de la main droite, la seule honorable.

«Notre hôte se tenait à côté du cercle, encourageant l’appétit avec de pieuses exclamations. À toute vitesse, nous tordions, déchirions, tranchions et nous nous gavions ; ne parlant jamais, car la conversation insulterait la qualité du repas, quoiqu’il fut convenable de sourire en remerciement  quand un intime vous donnait un morceau de choix ou quand Mohammed el-Dheilan tendait gravement un énorme os nu avec une bénédiction. En telle occasion, je rendais le compliment avec quelque hideux et impossible tas de tripes, impertinence qui réjouissait les Howeitat.
«Enfin, quelques-uns d’entre nous étaient presque repus, et commençaient à chipoter jetant des coups d’œil obliques aux autres jusqu’à ce qu’ils ralentissent aussi et cessent enfin de manger, le coude sur le genou, la main pendant du poignet sur le bord du plateau pour s’égoutter, pendant que la graisse, le beurre et les grains de riz épars formaient en refroidissant une pâte blanche épaisse qui collait les doigts. Quand tous avaient fini, Nassir s’éclaircissait la gorge de façon significative, et nous nous levions tous en hâte avec un explosif « Dieu te le rende, ô hôte » pour nous grouper dehors parmi les cordes de tente pendant que les vingt invités suivants héritaient de nos places.

Ici je prends la relève de l’auteur. Certains invités s’essuyaient les mains graisseuses avec le mouchoir de la tribu, un tissu de poil de chèvre devenu luisant avec l’usage. Puis ils retournaient à leurs sièges.  Les esclaves  -à qui on laissait les crânes de mouton en guise de repas- promenaient un bol rempli d’eau pour que les invités se frottent les mains avec du savon.

Sur ce, nous vous souhaitons un joyeux temps des fêtes!

Source : Le sept piliers de la sagesse, T. E. Lawrence, pages 376 à 380, Éditions Gallimard Collection Folio, 1992 pour la traduction française

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