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Les 50 ans de la Place des arts

La première fois que j’ai mis les pieds à la Place des arts, j’étais drôlement fier. Né dans le fin fond d’un rang de campagne en Mauricie, j’avais hâte de franchir les portes de cet immeuble de prestige qui m’apparaissait à l’autre bout du monde. L’autre bout du monde étant Montréal.

Place des Arts de Jean Gagnon, Wikipedia
Place des Arts de Jean Gagnon, Wikipedia

Quand je suis entré dans l’édifice, c’est comme si une tonne de culture me tombait dessus. Quand je suis sorti, j’avais l’impression que je n’étais plus le même tout à coup. J’avais de la culture tout à coup. Ma vie avait franchi une autre étape tout à coup.

J’étais jeune, donc naïf.

Je me souviens très bien: j’avais vu une pièce de théâtre de la compagnie Jean-Duceppe. Les jours suivants, j’étais fier de dire à mon entourage que j’avais vu une pièce de théâtre. Pas n’importe où, mais à la Place des arts.

Seule déception: je trouvais l’environnement de l’édifice plutôt étrange. À mon grand étonnement, l’immeuble surgissait de nulle part, au milieu d’un quartier populaire. À proximité il y avait des HLM, des drogués, des sans-abri, des prostituées. Cela date d’une trentaine d’années quand même!

Pourquoi avoir choisi cet emplacement pour édifier le temple des arts?

J’ai trouvé un début de réponse, et bien d’autres d’ailleurs, dans le bouquin Les 50 ans de la Place des arts, un collectif réunissant les textes d’historien, d’artistes et de gestionnaires.

En gros, lors de sa réélection en 1960, le maire de l’époque Jean Drapeau s’était engagé à «nettoyer» Montréal de la culture décadente qui sévissait au centre-ville. Les mauvaises mœurs de la ville avaient même fait l’objet d’articles dans certains médias américains. Drapeau voulait remplacer la culture du divertissement populaire par une culture de calibre international.

D’où l’idée de construire la Place des arts le long de Sainte-Catherine, pas trop loin du boulevard St-Laurent, surnommé la Main.

Sauf que le nom existait déjà. Il a été emprunté à une institution populaire qui a sévi sur le même emplacement.

Selon Wikipedia: «À l’origine, Place des arts était le nom d’une université ouvrière mise sur pied en 1947 par Henri Gagnon et une équipe composée d’artistes cherchant à intégrer des valeurs sociales et la philosophie à leur travail. En plus des activités de création artistique, la crise du logement social amène les ateliers à servir de refuge en soirée aux personnes qui n’avaient pas accès à un abri salubre. À la suite d’une longue campagne d’intimidation menée par la police auprès des artistes qui étaient fichés et suivis pour activités subversives et communisme, la Ville de Montréal (Jean Drapeau) a mis les ateliers de Place des arts sous verrous.»

Dans Jouer avec le feu, Armand Vaillancourt, sculpteur engagé, de l’auteur John K. Grande, on apprend qu’une exposition majeure s’était tenu dans cet atelier. «Le critique d’art Rodolphe de Repentigny avait considéré l’événement comme la première exposition organisée par des artistes qui dépassait en importance l’exposition annuelle du printemps du Musée des beaux-arts de Montréal», lit-on dans le bouquin.

John K. Grande nous apprend aussi que la Place des arts (l’atelier) a été fermée en 1956 par le Service des incendies de Montréal pour se conformer à la Loi du cadenas de Duplessis, avec le consentement du maire Camilien Houde. Une rumeur circulait à l’effet que l’atelier était subventionné par les communistes de Moscou.

Puis, le sculpteur Armand Vaillancourt a squatté le lieu jusqu’au début de 1957 avec d’autres artistes. Il n’y avait ni chauffage, ni électricité. Le sculpteur y restera jusqu’au jour où une partie de l’immeuble s’est effondrée.

Références:

Les 50 ans de la Place des Arts, sous la direction de Louise Poissant, Presses de l’Université du Québec, 2015, 227 pages

Jouer avec le feu, Armand Vaillancourt, sculpteur engagé, John K. Grande, Lanctôt éditeur, 1999, 127 pages

Wikipedia français à l’article Place des arts

Photo de Jean Gagnon sur Wikipedia