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La chute de la maison Usher

Quand je vais au travail, j’observe les résidences qui défilent. Je m’amuse à deviner la personnalité du propriétaire à travers l’aspect extérieur de sa maison. C’est juste un jeu.

La très grosse majorité des maisons ne dégagent rien de particulier. Quelques-unes par contre suscitent la curiosité.

Il y a cette maison non entretenue qui distille une grande tristesse. Elle est habitée car les véhicules se succèdent dans l’entrée. Il y a cette maison magnifiquement décorée, mais hyper froide. Pas vraiment le goût d’aller frapper à la porte.

On a tous un jour déambulé dans une résidence qu’on voulait quitter au plus sacrant. Pour toutes sortes de raisons : la décoration, l’atmosphère, le propriétaire peut-être, ou quelque chose qui flotte dans l’air.

La maison est le reflet d’une personne. Les êtres humains se projettent  dans la décoration, l’agencement des meubles,  la division des pièces.

L’écrivain Edgar Allan Poe a magnifiquement décrit ce mécanisme. Fidèle à lui-même, il a poussé à l’extrême dans sa nouvelle : La chute de la maison Usher. Morbide un brin, mais très révélatrice.

Doué d’un grand sens de l’observation, Poe était un maître de la description.

Un homme rend visite à un ami d’enfance qu’il n’a pas vu depuis des années.  L’ami  l’avait invité en laissant sous-entendre que sa visite lui ferait le plus grand bien. Il se dit victime d’un mal mystérieux.

L’homme arrive à cheval devant le manoir de la famille Usher. Une fois de plus, la vue du manoir lui pèse. « Les murs qui avaient froid, les fenêtres semblables à des yeux distraits, quelques bouquets de joncs vigoureux, quelques troncs d’arbres blancs et dépéris », raconte le narrateur.

Source : iStockphoto LP

Un étang noirâtre s’allonge près du manoir.

Le visiteur explique : « Il existe des combinaisons d’objets naturels très simples qui ont la puissance de nous affecter de cette sorte.» Il ajoute plus loin comme pour mieux expliquer : «Il était possible qu’une simple différence dans l’agencement des matériaux de la décoration, des détails du tableau, suffît pour modifier, pour annihiler peut-être cette puissance douloureuse. »

Un dernier commentaire : « Son caractère dominant semblait être celui d’une excessive antiquité. La décoloration produite par les siècles était grande. De menues fongosités recouvraient toute la face extérieure et la tapissaient à partir du toit, comme une fine étoffe curieusement brodée. Mais tout cela n’impliquait aucune détérioration extraordinaire. Aucune partie de la maçonnerie n’était tombée. »

Une fois entré, le visiteur décrit l’intérieur. Une voûte gothique au-dessus du vestibule, un passage obscur menant à la chambre du propriétaire, des sculptures aux plafonds, des sombres tapisseries accrochées aux murs et des planchers aux teintes foncées.

Comment était la chambre du propriétaire? Des draperies sombres cachaient les murs et l’ameublement était « extravagant, incommode, antique et délabré. » Tout respirait la tristesse.

Pauvre lui, le propriétaire du manoir souffre d’une acuité excessive des sens.  Il supporte mal certains tissus,  la lumière crue lui fait mal, il fuit les sons aigus. « L’effet des murs gris, des tourelles et de l’étang noirâtre où se mirait tout le bâtiment, avait à la longue affecté son moral», explique le visiteur. Bref, le manoir lui a rentré dedans au fil des années.

La fin de l’histoire est morbide. Tellement que le visiteur fuit en courant. Lorsqu’il se retourne, un éclair frappe la longue fissure qui se prolongeait du toit jusqu’au sol. Les murailles s’écroulent et le manoir se fait aspirer par l’étang.

Source: Nouvelles histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe, traduction Charles Baudelaire 1917.

Source photo : iStockphoto LP