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«J’ai l’impression d’être enterrée vivante»

Deux fois première ministre du Pakistan et assassinée en pleine rue en décembre 2007, Benazir Bhutto a vécu longtemps enfermée dans la maison familiale.

Elle a décrit dans son autobiographie les émotions vécues durant deux longues périodes de résidence surveillée.

La première fois, elle avait 26 ans. Le Pakistan vit alors sous une dictature militaire. Soldats et paramilitaires montent la garde, à l’intérieur et à l’extérieur de la résidence. Benazir vit enfermée avec sa mère.

«La presse occidentale a été informée par le régime que nous sommes assignées à résidence. Mais c’est inexact. L’assignation à résidence, au Pakistan, est purement formelle, la personne détenue étant autorisée à recevoir des visites de ses amis et de sa famille, à donner des interviews à la presse, à téléphoner, à avoir des livres et parfois même à faire un court déplacement pour un rendez-vous à l’extérieur. Soumis au règlement de la détention au domicile, Al-Murtaza (nom de la résidence) a été considérée comme une prison, où règne  le règlement du Manuel des prisons. Notre téléphone est coupé. Ma mère et moi nous sommes confinées dans la propriété sans autorisation de visites, sauf quelquefois pour Sanam (sa sœur).»

Pour tromper l’ennui et ne pas trop penser à son père qui vient d’être pendu, Benazir s’occupe des jardins dès le petit matin. De chaque coin de la maison, les soldats l’observent.

Sinon, elle écoule le temps. «Je lis et relis dans la bibliothèque de mon grand-père les livres d’Erle Stanley Gardner, écrit-elle, bien que l’électricité soit souvent coupée, nous condamnant, ma mère et moi, jour et nuit à l’obscurité. Nous avons un poste de télévision, mais même quand l’électricité marche, il n’y a rien à regarder.»

Au bout de quatre mois,  Benazir a le sentiment que la maison elle-même est gardée prisonnière.  Elle regarde le soleil se refléter sur les armes des soldats.

«J’ai l’impression d’être enterrée vivante, occupée de tout contact humain. Ma mère fait des réussites pour passer ces heures interminables. Mais au bout de cinq mois, je suis plus impatiente que jamais. Impossible de savoir quand nous serons relâchées, si nous le sommes», écrit-elle.

«Pour exister vraiment, il faut réaliser quelque chose, agir et produire une réaction. Je n’ai rien sur quoi laisser ma marque.»
Elle sera libérée au bout de six mois, puis sera de nouveau assignée à résidence l’année suivante. Cette fois-ci, elle vivra seule.
«J’aurai pu parler toute seule, dans ce silence sans fin, simplement pour entendre une voix humaine,  mais je n’y songeais pas», écrit-elle. Elle cuisine pour passer le temps. «Dans mon bol de riz, je voyais une preuve de mon existence».

Sa mère combat un cancer. Les médecins réclament un traitement à l’étranger mais le régime militaire refuse. Benazir se fait du mauvais sang.

Finalement, on autorise le départ de sa mère vers l’étranger. Benazir reçoit la permission de lui rendre visite.

On la transfère dans la maison familiale à Karachi en attendant le retour de sa mère au pays. Benazir y vivra quatorze mois. Fonctionnaires et membres des forces de l’ordre montent à garde à deux pas de distance l’un de l’autre. Des agents du renseignement sont postés devant et derrière les portes.

Lorsqu’un homme politique américain appelle et demande à parler à Benazir Bhutto, on répond que c’est impossible car, dit-on, elle est en prison.

(Deuxième d’une série de trois billets)

Référence:
Benazir Bhutto, Une autobiographie, éditions Stock, titre original Daughter of the East, 1989, 406 pages

Photo : iStockphoto LP