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Gare aux chaises berçantes!

J’ai le privilège de jouir d’une chaise berçante d’époque. Belle, grande et brune. La détente que me procure une heure à me bercer est bien supérieure à celle d’un spa, d’une partie de cartes ou d’un marathon de bavardage sur Facebook.

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L’esprit ailleurs, je me berce, je fredonne, j’évoque des souvenirs.

J’errais à la bibliothèque municipale lorsqu’un titre a attiré mon attention: La berçante québécoise. L’auteur: Paul-Louis Martin, historien et ethnologue.

J’ai lu des choses qui m’ont fait tomber de ma chaise.

Au rayon des superstitions par exemple, saviez-vous que, dans les années 1800 et 1900 au Québec, on disait qu’une jeune fille qui se berce en mangeant était appelée à rester «vieille fille»?

Dans un registre plus macabre, un mort en manque de prières n’avait qu’à faire bouger la berçante sur laquelle il avait l’habitude de s’asseoir de son vivant.  C’était du moins la croyance à l’époque. Autre signal: si la berçante d’un défunt, impeccable avant sa mort, se mettait à craquer après son décès, c’est que le défunt exigeait des prières. Brrrrr!
Si les occupants d’une maison voyaient une chaise berçante se bercer toute seule, c’est que la mort était sur le point de venir chercher un membre de la famille. Que fallait-il faire? L’arrêter immédiatement, disaient les anciens, sinon quelqu’un allait mourir.

D’autres affirmaient que si une berçante s’animait sans la présence d’un postérieur quelconque, c’est que la maison était hantée ou soumise à l’emprise du diable.

Heureusement, certaines superstitions se montraient moins terrifiantes.

La chaise craque? C’est qu’il fera très froid demain. Elle se déplace pendant que vous vous bercez? Quelqu’un va se pointer le bout du nez avant la nuit.

Les filles les plus «ratoureuses» utilisaient la berçante pour communiquer leurs états d’âme aux gars du coin. Au soupirant elles offraient la chaise qui avait la fâcheuse habitude de se déplacer. Plus les minutes s’écoulaient, plus le gars se rapprochait. Ou bien elles se berçaient sur la galerie en prenant soin de laisser une chaise libre à leurs côtés.  Quel garçon viendra poser son postérieur pour venir passer un bout d’veillée?

La berçante était précieuse pour se débarrasser d’une visite insupportable. On offrait au visiteur la chaise la moins confortable: celle qui verse, celle qui craque, celle qui se déplace sans arrêt. À bout de patience, le visiteur levait les claques.

L’auteur nous apprend que la chaise berçante est un concept de la Nouvelle-Angleterre et que nul autre que Benjamin Franklin aurait contribué à son invention. L’hypothèse la plus probable veut que les Loyalistes aient introduit la berçante au Québec à la fin des années 1700, dans l’Estrie ou le sud-ouest de Montréal. Le génie créatif des paysans d’ici ont fait le reste.

La berçante a servi d’accessoire à la fabrication du beurre, à la joie de la glissade en hiver, aux besoins naturels (en supprimant le fond), à la préparation de la laine pour le tricotage et à l’aiguisage du rasoir masculin.

M. Martin aborde dans son livre la fabrication d’une berçante: matériaux, techniques d’assemblage, outils utilisés. Sans compter les modèles de berçantes et les artisans de l’époque. À lire absolument!

Source : La berçante québécoise, Paul-Louis Martin, Guérin, Montréal, 2012,  185 pages

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