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La belle et le mammouth

C’est l’histoire d’un coup de foudre. La belle au regard pur, c’est la justice. Le soupirant, c’est l’architecte Joseph Poelaert. Son amour pour la belle était si grand qu’il lui a construit un palais immense. Il a plutôt engendré un monstre. Comme le dit l’expression populaire, c’est l’intention qui compte.

On ne sait toujours pas ce qui s’est réellement passé dans la tête de l’architecte à l’époque. Emporté par son projet, il est mort subitement, foudroyé par une congestion cérébrale, quatre ans avant la cérémonie d’inauguration.

Aujourd’hui, les Belges se retrouvent avec un palais de justice appelé parfois le mammouth. C’est sa taille colossale qui pousse le touriste à marquer un temps d’arrêt, et non l’esthétique. L’intérieur est si vaste que des dizaines de pièces, dit-on, sont laissées à l’abandon. Les portes sont closes depuis longtemps.

Palais de justice Bruxelles WIKIPEDIA inusite
Palais de justice Bruxelles. Photo Wikipedia de Martin Mycielski (Stansfield)

Le palais est toujours inachevé, mais le mammouth respire toujours. Chaque jour des centaines d’avocats et d’employés franchissent les portes afin de préserver la pureté de la justice. Sans compter les visiteurs.

Que s’est-il passé exactement?

Nous sommes au milieu des années 1800. Un pays minuscule vient de naître: la Belgique. Bruxelles est la capitale. Pour donner une impulsion de grandeur au nouveau peuple et montrer sa volonté de consacrer l’indépendance des juges et des avocats face à la politique, le roi Léopold I commande la construction d’un palais de justice doté d’une architecture qui fera la fierté des Belges.

Joseph Poelaert hérite du contrat. Il est connu pour sa tendance à dépasser les coûts initiaux. De plus, l’homme aime les effets de masse. Il ne se privera pas.

Les travaux de construction ont débuté en 1866. Comme on ne voyait pas le jour où ils prendraient fin, le roi Léopold II a procédé à l’inauguration officielle en 1883, quatre ans après le décès de Poelaert. Inutile de dire que la facture initiale a été largement dépassée.

Le palais de justice de Bruxelles est plus vaste que la Basilique Saint-Pierre à Rome. Une maison de quinze mètres de hauteur franchirait sans problème le portique d’entrée. L’édifice serait toujours le palais de justice le plus grand du monde avec ses centaines de locaux, ses huit cours intérieures, son dôme s’élevant à 100 mètres au dessus de la salle des pas perdus qu’on dit incroyablement grande.

Intérieur du Palais de justice Bruxelles (iStockphoto)
Intérieur du Palais de justice Bruxelles (iStockphoto)

L’intérieur est un labyrinthe de vestibules géants, d’escaliers, de couloirs, de voûtes, de colonnes, de corniches, de statues dédiées à la justice. Entrer à l’intérieur, dit-on, c’est entrer dans un monde à part. Le cinéaste Orson Welles a été si frappé par le dédale intérieur qu’il a voulu y tourner son célèbre film Le procès. La demande a été refusée.

Dans son élan créatif, Poelaert a tenté de fusionner plusieurs styles: gothique, néoclassique, gréco-romain, égyptien. C’est à perdre son latin, semble-t-il. Impossible de définir le style de l’édifice. Cela n’a pas empêché des créateurs au Pérou de copier l’œuvre de Poelaert pour la construction du palais de justice de Lima, la capitale. En format plus réduit, bien entendu.

Pour faire place au monstre, il a fallu exproprier à l’époque. Selon une légende, les habitants du quartier étaient si furieux qu’ils utilisaient les mots schieven architek (architecte tordu) en guise d’injure envers une personne. Ces mots seraient encore entendus aujourd’hui.

Comble d’ironie: le palais a été élevé sur la colline où on exécutait les criminels autrefois. Les corps étaient ensuite exposés à la célèbre Grand Place de Bruxelles, devenu le plus beau jardin d’Europe aux yeux de plusieurs.

 

Références:

Wikipedia français à l’article Le palais de justice de Bruxelles
Wikipedia français à l’article Joseph Poelaert
Bruxelles, Le routard, Hachette, 2013, 239 pages
Beauté de la Belgique, texte de Noël Graveline, Minerva, 1997, 140 pages
Bruxelles à petits prix, cheap and chic, 2012, 198 pages

 

Photos:

Palais de justice Bruxelles extérieur : Wikipedia Creative Commons Attribution-Share Alike Martin Mycielski (Stansfield)

Palais de justice Bruxelles intérieur : iStockphoto LP